“le père ou quête d’un personnage chez Giono” – Evelyne Frechet

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Dès ma première rencontre avec l’œuvre de Giono, une chose m’a frappée : ses livres fourmillent de citations ou de références bibliques, ironiques la plupart du temps. La problématique était posée dès mon mémoire de maitrise : les déluges chez Giono. Cheminant dans l’intimité de l’œuvre, mon constat est devenu évidence : Jean Giono y manifeste un refus absolu de Dieu, souvent présenté en caricature de Dieu ­le ­Père. Piquée par la curiosité, je me suis interrogée : et si le rejet de Dieu n’était que l’expression d’un autre, qu’il masquerait, celui du Père, alors qu’en apparence, celui­-ci incarne chez Giono une image positive et aimé, cristallisée autour du Père Jean, omniprésent cordonnier de Manosque ?

J’ai alors décidé d’étudier ce personnage du Père chez Jean Giono. Je me suis donc armée de patience pour traquer avec obstination les plus petites variations sur ce thème dans l’ensemble de l’œuvre de Giono pour en dégager la cohérence. Mon hypothèse de travail était que Giono, à travers son œuvre littéraire cherchait désespérément à régler son compte à ce Père idéalisé qui l’écrasait de son image de modèle parfait inatteignable, attentive pourtant à rester dans le champ de la fiction romanesque, sans extrapoler mes interprétations à l’homme Giono. “Rien n’est vrai, même pas moi “ aimait ­il dire.

En fait, dès le début de son œuvre et pendant dix ans, de 1928 à 1939, la relation Père/­Fils s’organise sur le mode de la violence réciproque, souvent camouflée derrière un “roman familial” parfait d’amour et de bienveillance. En 1939, il met un point final à ce thème sur un mode que j’ai qualifié d’ « échec du fils », car le dernier personnage de fils rival, Saint Jean, dans Batailles dans la montagne, renonce au meurtre du père, le patriarche Boromé, en même temps qu’il renonce aux femmes du vieux. Et Saint Jean s’efface dans l’ombre brouillardeuse d’une montagne. J’ai dit s’efface car, au propre et au figuré, le personnage­ fils disparaît, à la fois du livre et de l’œuvre en général. A partir de cette date, celle­-ci bascule dans un second thème, celui du double, frère­/reflet, double monstrueux, autre de moi, en tout cas tout sauf de l’altérité : si je ne me définis plus en tant que rival de mon père, qui suis­-Je ?

Le renoncement de Saint Jean, c’est aussi accepter de laisser sa place au Père parce que la castration œdipienne seule permet au fils de s’inscrire sainement dans la lignée des pères à son tour. Nous touchons alors une autre compréhension du personnage de père fort, qui, dans sa vulnérabilité offerte ne se pose plus en Père Imaginaire tout­puissant mais en Père Symbolique, inscrit dans la Parole, et soumis à la Loi dont il est porte­parole. Elle dit que le Père est nécessaire pour que le Fils advienne. Alors, le renoncement du fils n’est pas un échec mais sa seule alternative. Sortant du récit, Saint Jean a du aller vivre sa vie, dans l’anonymat d’une vie d’homme simple et tranquille, sans histoire donc devenu sans intérêt pour la littérature.

Soyez curieux à la fois de Giono, et de l’approche « psychanalyse littéraire »…

L’auteur présentera son livre le 6 aout aux traditionnelles journées Giono à Manosque, et à Paris le 8 février 2016

Evelyne Frechet

Le livre est en commande sur le site http://www.editions­pantheon.fr/evelyne­frechet.html

et en version numérique : https://www.7switch.com/fr/ebook/9782754726757/le­pere­ou­quete­d-
un­personnage­chez­giono

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